Première partie _Combray _Chapitre 1_2Certes , j ' étais bien éveillé maintenant :
mon corps avait viré une dernière fois et le bon ange de la certitude avait tout arrêté autour de moi , m ' avait couché sous mes couvertures , dans ma chambre , et avait mis approximativement à leur place dans l ' obscurité ma commode , mon bureau , ma cheminée , la fenêtre sur la rue et les deux portes .
Mais j ' avais beau savoir que je n ' étais pas dans les demeures dont l ' ignorance du réveil m ' avait en un instant sinon présenté l ' image distincte , du moins fait croire la présence possible , le branle était donné à ma mémoire ; généralement je ne cherchais pas à me rendormir tout de suite ;
je passais la plus grande partie de la nuit à me rappeler notre vie d ' autrefois à Combray chez ma grand ' tante , à Balbec , à Paris , à Doncières , à Venise , ailleurs encore , à me rappeler les lieux , les personnes que j ' y avais connues , ce que j ' avais vu d ' elles , ce qu ' on m ' en avait raconté .
À Combray , tous les jours dès la fin de l ' après-midi , longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester , sans dormir , loin de ma mère et de ma grand ' mère , ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations .
On avait bien inventé , pour me distraire les soirs où on me trouvait l ' air trop malheureux , de me donner une lanterne magique , dont , en attendant l ' heure du dîner , on coiffait ma lampe ;
et , à l ' instar des premiers architectes et maîtres verriers de l ' âge gothique , elle substituait à l ' opacité des murs d ' impalpables irisations , de surnaturelles apparitions multicolores , où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané .
Mais ma tristesse n ' en était qu ' accrue , parce que rien que le changement d ' éclairage détruisait l ' habitude que j ' avais de ma chambre et grâce à quoi , sauf le supplice du coucher , elle m ' était devenue supportable .
Maintenant je ne la reconnaissais plus et j ' y étais inquiet , comme dans une chambre d ' hôtel ou de « chalet » où je fusse arrivé pour la première fois en descendant de chemin de fer .
Au pas saccadé de son cheval , Golo , plein d ' un affreux dessein , sortait de la petite forêt triangulaire qui veloutait d ' un vert sombre la pente d ' une colline , et s ' avançait en tressautant vers le château de la pauvre Geneviève de Brabant .
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